Quel machiavélisme, ce Vladimir Poutine ! Par un jeu de billards à plusieurs bandes dont il a le secret, il a réussi à déstabiliser la France. Pas de fake news, de pirates informatiques ou de câbles coupés cette fois. En envahissant l’Ukraine, il savait que l’UEFA délocaliserait la finale de la Champions League qui devait se disputer en Russie. Paris n’a pas résisté et s’est proposée. Patatras…

Les incidents qui se sont produits autour de cette rencontre sportive ont déclenché un scandale international. Il s’agit de football européen tout de même ! Depuis, la population a été sidérée d’apprendre que le contenu des caméras de surveillance disposées autour du Stade de France avait été effacé. Petite pause devinette à propos de la probabilité la plus élevée de deux événements – A : que cet épisode embarrassant ait pu survenir et B : qu’il soit survenu et que la disparition de toutes ces données visuelles ait été intentionnelle, c’est-à-dire organisée par les autorités françaises. La réponse donnée sera souvent B. Or, c’est logiquement impossible. La solution est nécessairement A. Chez les spécialistes des sciences cognitives, l’erreur d’appréciation porte le doux nom de « biais de représentativité ». L’explication est simple. Disons que la probabilité de A, l’effacement des informations, soit de 10 %. La probabilité de B est nécessairement inférieure ou égale à 10 %. Dans l’ensemble constitué par les occurrences de A, il y a plusieurs explications possibles : la conduite délibérée (B), aussi vraisemblable soit-elle n’est que l’une d’entre elles. Ainsi, l’incompétence totale n’est pas à exclure entièrement.
La gestion de cette finale a été tellement calamiteuse que toutes les interprétations sont plausibles. A tout seigneur, tout honneur : l’absence d’Emmanuel Macron dans les tribunes a été d’autant plus remarquée que, outre les huiles du monde du football, le roi d’Espagne et l’émir du Qatar avaient fait le déplacement. Quand on se présente comme le big boss de la start-up nation, l’argument du besoin d’un petit break n’est guère recevable. On l’imagine aisément faire la leçon à des salariés pressés de partir en week-end : « quand on veut s’acheter des costards, on bosse sans rechigner mon ami ». Cette atmosphère un peu pastorale de vacances s’est retrouvée au niveau de l’organisation du match. Certes la grève du RER B n’a rien arrangé – pourquoi y a-t-il tant de « fainéants » en France au fait ? Cependant, c’est une sorte d’amateurisme général qui a semblé émaner tout au long de la soirée. Après tout, qu’est-ce qu’un match de football quand on possède un incomparable savoir-faire dans le maintien de l’ordre ? Qui plus est, dans ce genre de contexte, quand un malencontreux dérapage est constaté, il n’y a rien de plus facile que désigner un bouc-émissaire à la vindicte populaire.
Lorsque le ministre de l’Intérieur, Gerard Darmanin, et le préfet de Paris, Didier Lallement, ont été invités à rendre des comptes, ils ont accusé les supporters de Liverpool : 40 000 d’entre eux se seraient déplacés à Paris sans billets valables. L’amalgame entre les familles de supporters et les hordes de hooligans, originaires de Liverpool et à l’origine du drame du Heysel en 1985, était tentant. Et puis ce sont des Britanniques, lesquels ont rarement bonne presse chez leurs anciens partenaires européens depuis le Brexit. L’air martial avec lequel ces chiffres ont été avancés ne les a pas rendus exacts comme par enchantement. C’est pourquoi les autorités procédèrent rapidement à une correction. Seuls 2 000 détenteurs de faux billets avaient été recensés. Le contraste avec Corneille qui avait assuré : « Nous partîmes 500 ; mais par un prompt renfort / Nous nous vîmes 3 000 en arrivant au port » était flagrant. Pour espérer se payer la tête des médias et du Sénat dans ces circonstances, il fallait une dose exceptionnelle d’aplomb ou d’inconscience.
Les témoignages des supporters anglais et des journalistes sur place racontent en effet une tout autre histoire : de pacifiques familles aspergées de gaz par des policiers, des stadiers débordés, des infiltrations de locaux sans billets à l’intérieur du stade, des Anglais victimes d’agression de la part de bandes de voyous extrêmement bien organisées… Croire que l’effacement de certaines images, celles autour du stade comme celles de la RATP, masquerait la réalité et entretiendrait un doute raisonnable sur les raisons de la pagaille était d’une candeur infinie. Dès le début du maelstrom, des films des spectateurs circulaient sur les réseaux sociaux. Sans oublier que, même s’ils ont accédé au stade par une autre voie, les Espagnols ont également formulé des griefs sur la manière dont ils avaient été traités. Il est vrai qu’en France la fête du village se prépare un peu partout avec un an d’avance. Dans le cas présent, les organisateurs n’avaient que trois mois pour se retourner. Et puis les parties prenantes étaient si nombreuses : la préfecture de police, l’UEFA, le stade, la RATP, la marine suisse… Rappelons que l’intelligence collective se mesure parfois par le QI le plus bas divisé par le nombre de participants.
Indépendamment des lois de Darmanin, la justification de l’effacement des images vaut également son pesant de cacahuètes. Les décideurs auraient ignoré qu’elles révélaient toute cette violence. Mais les ont-ils regardées au moins ? Si oui, alors pourquoi ne pas les avoir conservées comme pièce à conviction dans leurs investigations ? Et sinon, c’est-à-dire s’ils n’ont pas eu la présence d’esprit de jeter un œil sur le contenu des caméras, quelle est l’utilité de ces outils de surveillance in fine ? Si Big Brother sert uniquement à mater des supporters qui fraternisent en s’enfilant des saucisses avec des frites, leur installation n’est peut-être pas indispensable. L’idée est-elle d’identifier d’éventuels fauteurs de troubles ou de donner le sentiment à la population qu’elle est surveillée en permanence ? Quand on se refuse à verser dans les théories du flicage systématique, il n’y a qu’une explication possible : il fallait dissimuler des éléments dérangeants. En enfouissant les faits plutôt qu’en y faisant face courageusement, on se promet des lendemains réjouissants : vivement les Jeux Olympiques de 2024 !
La maxime (Georges Clemenceau) :
Les fonctionnaires sont un peu comme les livres d’une bibliothèque :
ce sont les plus hauts placés qui servent le moins…