LIBRE OU EN AYANT L’AIR

Quelques-uns ont mis dans l’urne un bulletin au nom de Macron. D’autres ont préféré Méluche ou Le Pen. Ceux qui n’ont été convaincus par aucun des douze babillards ont voté blanc. Les plus démobilisés face à cette non campagne ont décidé de taquiner le goujon. Il est loisible de critiquer chacune de ces positions mais il faut les respecter. Cela renvoie à la notion de liberté.

Assis sur son canapé, face à son téléviseur écran plat etc, le citoyen doit impérativement trancher. Sa télécommande, la « zapette », lui offre la possibilité de regarder gratuitement plusieurs centaines de programmes, et c’est sans compter les bouquets payants, les Netflix et autres. Le téléspectateur qui vise un thriller avec Robert Mitchum avec un meurtre après 12 minutes de film trouvera probablement chaussure à son pied mais, pour l’indécis, cet horizon quasiment infini est un véritable cauchemar. Même si un génie malin réduisait ses options le jour des élections présidentielles à une simple alternative, la soirée des résultats avec Laurent Delahousse et Anne-Sophie Lapix ou bien « Les bidasses s’en vont en guerre » avec les Charlots, la détresse de l’homo televisus-ecranplatus demeurerait intense. Ce n’est certes pas à lui que pensait Emmanuel Levinas en parlant de « Difficile liberté » mais, même sans référence à l’éthique et l’univers de science-fiction qui l’accompagne, il apparaît qu’il n’y a pas de liberté, sans choix assumé et ses conséquences, aussi douloureuses soient-elles.

Nul ne contestera que l’homme prend des décisions puisque ce n’est pas un automate et que, ces décisions, il les prend dans un environnement spécifique, lequel environnement est susceptible d’influer sur sa perception de la situation. Jusque-là, tout le monde est d’accord. Toute la question est de savoir sur quel aspect il convient de braquer les projecteurs, la liberté de choix individuelle ou les facteurs de tous ordres qui conditionnent le choix des individus. C’est là que les divergences se produisent. Le débat historique entre le libéralisme et le marxisme est bien connu. Les libéraux prétendent que, dans une société où chacun est libre d’agir comme il l’entend, en fonction de ses talents et de ses attentes, les individus doivent être responsabilisés au maximum. S’ils veulent travailler, ils n’ont qu’à traverser la rue ou créer leur propre entreprise. Les marxistes insistent sur les rapports de force existant entre les détenteurs des moyens de production et les salariés. Comme ces derniers manquent de ressources, ils sont forcés d’accepter les conditions fixées par les capitalistes. Leur liberté est factice.

Ce phénomène de subjugation de la majorité par une minorité est aussi ancien que l’organisation des sociétés sous une forme étatique. La civilisation sumérienne qui a pris son essor à partir du quatrième millénaire avant l’ère courante en est une très belle illustration. La connivence entre les élites politique et religieuse garantissait la soumission des masses : si vous n’avez pas peur du roi, pourtant émanation des divinités sur terre, vous craindrez au moins de rôtir en enfer. En ce sens, la naissance du judaïsme constitue une rupture dans cet ordre du monde. Les progressistes présentent la création d’un jour de repos obligatoire comme une limite à l’exploitation économique. Ce n’est pas faux mais l’interdiction de se prosterner devant tout être fait de chair et de sang et la mise en exergue de la responsabilité personnelle méritent autant l’attention. Elles équivalent à instituer à un espace de liberté. Le christianisme a pris le relais avec un mégaphone mais dans la même logique sur ce point : il y a des tas d’éléments qui façonnent les comportements individuels ; toutefois, il existe toujours une sphère irréductible où l’homme peut choisir entre le bien et le mal.  Un brin moqueur, Jean Bottéro rappelait que l’invention de l’examen de conscience par les « sémites » avait révolutionné la morale.

Quoi qu’il en soit, les monothéistes ne se sont pas heurtés seulement aux grands empires. Ils ont dû ferrailler avec le paganisme et toutes les formes de religiosité ancrées profondément dans le cœur des gens. Parce que l’être humain est un sacré zozo. En effet, il aspire à la liberté la plus étendue possible – au point de considérer aujourd’hui qu’elle est plus importante que la santé publique. En même temps, il supporte mal l’incertitude où la moindre de ses décisions le plonge. A-t-il bien choisi ? N’aurait-il pas dû faire autrement ? L’astrologie a longtemps prospéré dans ces circonstances. Or, faire dépendre sa conduite de l’étoile sous laquelle on est né est une autre manière de s’exonérer de sa responsabilité morale. Que l’on invoque Vénus passée derrière Saturne ou un ordre de l’empereur revient finalement au même. Comme le montre Ramsay MacMullen dans un ouvrage de référence sur le sujet, le christianisme a été amené à composer avec les croyances païennes pour convertir les foules. Il n’est donc pas question que de la fête du solstice transformée en Noël. Notre calendrier conserve d’autres traces de ce syncrétisme : dans de nombreuses langues, les jours de la semaine désignent des planètes : lundi, Monday, jour de la lune, etc.

En conclusion, comme le suggère le regard amusé des perruches ondulées, l’humain est un être curieux. D’un côté, il prétend s’émanciper, rêvant de briser des chaînes souvent imaginaires pour se trouver en lévitation au-dessus de la planète. De l’autre, il a tellement peur des implications de sa liberté qu’il ne peut s’empêcher de s’attacher à des chaînes de pacotille, à des plaies réelles. Ce qui est sûr est que, si l’on n’a pas envie de se tromper de chaîne, il importe de rester en permanence sur ses gardes. Bref, ce n’est pas tant l’état de liberté qui compte mais la libération, qui est un processus. Ray Charles chantait ainsi « Unchain my heart » (libère mon cœur). S’il avait ajouté « my brain » (mon cerveau) en replay, c’eût été parfait !   

La citation (Jacques Dutronc) :

L’astrologie ?

La science désastre.

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