SALE RACE !

Mieux vaut être un homme blanc qu’une femme de couleur quand on cherche du travail. Le combat contre les discriminations de toutes sortes est loin d’être gagné. Il mérite une attention permanente. En même temps, ses dérives inquiétantes ne doivent pas être passées sous silence.

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Il était une fois un individu très observateur qui prit conscience que tous les êtres humains n’avaient pas la même couleur de peau. Après avoir écarquillé les yeux, il se rendit à l’évidence, il y avait bien des Blancs, des Noirs, des Jaunes, des Rouges. Il se plongea dans les livres anciens et trouva confirmation que son constat était assez novateur. Les hommes n’avaient certes jamais manqué de mettre le doigt sur diverses caractéristiques les distinguant les uns des autres. L’approche binaire des Grecs est bien connue. D’un côté, il y avait ceux qui parlaient leur langue, signe de l’appartenance à une civilisation raffinée et, de l’autre, le monde barbare caractérisé par les borborygmes provenant des individus qui avaient l’infortune d’y être relégués. Il était également arrivé que des hommes soient frappés par la différence d’apparence plutôt que par la dimension culturelle. Pour leur plus grand malheur, les Incas confondirent les conquistadors avec des envoyés du « Dieu blanc », leur témoignant un temps un immense respect. Pourtant, jusqu’à ce farfelu, les analyses de ces dissimilitudes n’avaient jamais été associées à des conséquences inéluctables. D’ailleurs, le plus souvent, il suffisait de devenir chrétien pour être sauvé.

Le problème n’est pas qu’un « homme de science » ait un jour établi un lien entre le comportement des individus et leur race présumée. D’autres êtres originaux n’ont pas manqué de gratifier l’espèce humaine de découvertes sidérantes, témoignant d’une créativité quasiment sans limite. Prenons Jules Allix, l’inventeur de la théorie des « escargots sympathiques », méthode télégraphique fondée sur la capacité de ces gentilles bestioles à rester physiologiquement en contact après l’acte sexuel. Personne ne l’a suivi dans ses délires et il a même été interné à l’asile de Charenton. Dans le cas de le théorie des races, le drame est que la mayonnaise a pris. On a même assisté à une remarquable effervescence de ces idées avec notamment le courant des « anthroposociologues », dont Carlos Closson, Otto Amon et Georges Vacher de Lapouge ont été les sinistres têtes de gondole, jusqu’à inspirer le nazisme. En cette fin de dix-neuvième siècle, la frontière entre nature et culture était poreuse. D’où la macédoine produite par de nombreux chercheurs.

Les répercussions de ces débats n’ont pas été anodines. Après la guerre de Sécession, l’esclavage fut aboli aux Etats-Unis mais la question des rapports sociaux entre Blancs et Noirs n’était pas résolue pour autant. Le quatorzième amendement de la Constitution stipulait que les deux catégories de citoyens étaient égales. Toutefois, comme le climat était à la réconciliation nationale, une forme de ségrégation raciale fut autorisée puisque le racisme était profondément ancré dans le Sud du pays. Dans l’affaire « Plessy v Ferguson« , la Cour suprême grava en 1896 le principe « séparé mais égal » dans la loi. Les Noirs pourraient voyager dans les mêmes trains que les Blancs mais pas dans les mêmes wagons. La justification de cette politique s’appuyait maintenant sur des arguments pseudo-scientifiques. Il fallut attendre les années 1950 pour que s’opère une véritable remise en cause de cette citoyenneté à deux vitesses. Les Noirs commencèrent à se mobiliser pour obtenir un respect de leurs droits fondamentaux. En refusant de céder sa place à un Blanc dans un bus, Rosa Parks marqua fortement les esprits. Marche après marche, le mouvement des droits civiques parvint enfin à faire bouger les lignes.

Pour Martin Luther King, qui fut une des figures emblématiques de ce mouvement, il était essentiel que les Blancs se rallient à la protestation. Dans son esprit, c’était au moins autant une question d’efficacité, la force du nombre, que de valeurs. En effet, la ségrégation raciale ne devait pas être une préoccupation que pour la minorité noire. Elle constituait une tache pour l’ensemble de la société américaine. La participation des premiers progressistes blancs, qui furent bientôt rejoints par d’autres, annonçait la victoire à venir. Elle représentait la preuve que la lutte contre le racisme était l’affaire de chacun, que les hommes de toutes les couleurs étaient capables de s’entendre sur l’idée que tous devaient disposer des mêmes droits. La proportion de manifestants disposant  d’un doctorat sur les théories de l’évolution était infime. Leur position ne reposait pas sur des découvertes scientifiques mais sur un postulat moral. Quelques années plus tard, un Blanc nommé Stetson Kennedy réussit à infiltrer le Ku Klux Klan. En tournant en dérision les coutumes secrètes et les croyances de ses membres, il œuvra à la décrédibilisation de l’ensemble de l’organisation.

Le contraste avec la France d’aujourd’hui est frappant. Sous prétexte de lutte contre les inégalités raciales, certains militants préconisent de séparer les non Blancs, qualifiés de « racisés », des Blancs. La justification de cette ségrégation à rebours n’est pas triste. En tant que dominants économiquement, politiquement et culturellement, les Blancs sont jugés être incapables de comprendre la légitimité des revendications de minorités. Dans les organisations antiracistes qui adhèrent à cette vision, des réunions sont supposées être réservées aux « racisés » et d’autres aux « racistes »… euh aux Blancs. C’est exactement la configuration que les pires racistes du Sud des Etats-Unis auraient rêvé de rétablir. Indépendamment du fait qu’il s’agit d’un incroyable pied de nez, cette conception sous-entend que les différences entre les êtres humains sont irréductibles. Aucune action collective n’est à même de les rassembler sur des valeurs communes. Peut-on imaginer meilleur terreau pour le racisme ? Le Parti des Indigènes de la République est l’un des propagateurs les plus fervents de ces discours qui consistent à perpétuer le rapport colonisateur-colonisé. C’est évidemment sans fin. L’homosexualité n’est-elle pas une déviance imposée par les colonisateurs ?

Conseils de lecture :

Bourseiller Christophe, Et si c’était la vérité. Enquête sur les délires de l’histoire, Vuibert, 2015.
Kennedy Stetson, J’ai appartenu au Ku Klux Klan, L’Aube, 1996.

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