Depuis que Bruno Le Maire a menacé de mettre à genoux l’économie russe, Vladimir Poutine tremble. Il ne sort plus du Kremlin et il y a gros à parier que, sans l’intervention du courageux ministre de l’Economie, des Finances, de la Souveraineté industrielle et numérique – ouf !, la soldatesque russe serait déjà aux portes de Paris.
Quand Le Maire met la main à la pâte, il faut reconnaître qu’il y met toute sa force de conviction. De son ton empreint de solennité, d’une gravité inégalable, sourd une détermination impressionnante, à déboucher les tympans d’un malentendant. Lorsqu’il assène avec son aplomb légendaire qu’il ignore ce que sont les surprofits, avant d’éclater de rire, il convient d’abord d’essayer de lui prêter l’oreille. Il établit en fait une correspondance implicite entre les grands groupes français, leur richesse, la puissance industrielle de la France et la conquête nationale des marchés mondiaux. Toutefois, en se réclamant de ce gaullisme économique, il a été amené à franchir la ligne jaune à plusieurs reprises. Le ministre a par exemple passé sous silence un rapport de l’inspection des finances qui se plaignait justement des surprofits des concessions d’autoroute : « Je vous dis que cela n’existe pas ». La situation est pourtant limpide. La guerre en Ukraine a permis à des secteurs de l’économie comme l’énergie de réaliser des bénéfices records. De nombreux autres secteurs ont prétexté la hausse de leurs coûts pour augmenter leurs propres prix afin d’effectuer, eux aussi, des profits extraordinaires. Comme jamais.
Le ministre n’est pas uniquement prisonnier de ses oeillères politiques. Sa formation en économie est assez rudimentaire. Il ne maîtrise pas les concepts de base et, comme il ne s’y entend guère sur les profits simples, il est logique qu’il ne soit pas à la page non plus sur les surprofits. Il sait seulement que les bourses doivent monter vigoureusement et que les surprofits sont utiles à cet effet. Alors, s’il est auditionné un jour sur l’augmentation des prix qui enflent telle une folle turgescence, ce qu’on appelle l’« inflammation des prix », tandis que le prix des matières premières plonge, il risque d’être confronté à une panne intellectuelle : « Vous comprenez, assènera-t-il, les biens vendus aujourd’hui ont été fabriqués avec des matières premières achetées à un prix plus élevé.
– Très bien… mais pourquoi ce mécanisme ne marche-t-il que dans un sens ? Pourquoi quand les prix des matières premières augmentera à nouveau, cette hausse sera-t-elle répercutée immédiatement sans attendre ?
– Euh… »
Voilà, Bruno Lemaire est un littéraire. Il a pondu les discours de Dominique de Villepin qui goûtait sa plume. Comme jamais.
Les courbes du PIB ne sont pas réellement affriolantes. Dans son bureau de Bercy, le ministre devait s’ennuyer sec. C’est probablement là que l’idée de commettre son dernier ouvrage lui est venue. Aujourd’hui, les conseillers en communication recommandent aux politiciens d’atteindre les électeurs par d’autres canaux. Dans un champ déserté par les citoyens, et où règne la langue de bois, ajouter une corde à son arc pour le bander au moment voulu est de bonne politique. Cette volonté d’attirer l’attention par des chemins de traverse n’est pas nouvelle. Ecrits ou pas par ceux qui les signaient, des livres ont souvent été consacrés par le personnel politique à des figures historiques locales : Jean-Pierre Soisson a publié sur Charles le Téméraire, André Rossinot sur Stanislas. A l’instar de Dominique de Villepin, qui se piquait de poésie et se fantasmait en beau de l’air éthéré, certains n’ont pas hésité à s’aventurer sur des terrains plus inattendus. Plus globalement, l’essor de l’infotainment, mélange d’information et de divertissement, a constitué une étape supplémentaire dans le processus. Le sens du message diffusé a fini par brouiller l’écoute. Passer chez Cyril Hanouna est devenu une option. Comme jamais.
C’est dans ce contexte que Bruno Le Maire s’est livré à une « Fugue américaine », une escapade vers les terres du célèbre pianiste Vladimir Horowitz. Cette pièce de littérature appartient au genre roman. De cette façon, le lecteur est invité à découvrir ce que l’imagination du ministre cache. Selon le résumé, il est beaucoup question de musique, de médecine et de psychiatrie. Bruno Le Maire ne se commettrait pas à raconter l’épopée de deux frérots qui écument une fête de la bière avant de participer à une bagarre entre supporters de l’OM et du PSG. L’auteur témoigne ainsi d’une forme d’élévation culturelle. L’exercice n’aurait été propre qu’à satisfaire son narcissisme, sans toucher un public populaire, ce qui était l’objectif initial, s’il n’avait introduit avec hardiesse quelques passages croustillants, susceptibles de faire dresser les oreilles de la nation entière. En jouant au coquin, Le Maire s’affiche comme les gens normaux. Après tout, le sexe fait partie de la vie. La description des activités spécifiques au paddock est simplement esthétisée à sa sauce : « Elle me tournait le dos ; elle se jetait sur le lit ; elle me montrait le renflement brun de son anus : tu viens ? Je suis dilatée comme jamais ».
Ces pensées au fondement de sa stratégie ont assurément le mérite d’être plus excitantes que le déficit commercial. Œuvre séminale ? Puisque les voies de l’académie française sont impénétrables, nous ne préjugerons pas des chances du gentil Bruno d’en devenir membre. En revanche, le livre fait surgir des interrogations. Dans ces milieux, les romans sont habituellement à clés, et pas des clés de sol malgré la thématique. Dans le sien, le président du Conseil constitutionnel Jean-Louis Debré avait nommé un de ses personnages Josiane Baladur, avec un seul l. Il s’agissait d’une prostituée. Ce qui avait bien énervé Edouard du même nom, avec deux l. Si l’on revient à notre « anus horribilis », on se demande à qui Bruno Le Maire songeait parmi ses collègues. Notre homme a procédé avec plus de subtilité que Debré. Il a le dard malin… et attention aux fausses pistes. Le texte a été rédigé avant que la playmate du gouvernement ne se révèle. Comment décoder ? Par le prénom, l’âge, le parcours de l’héroïne du roman ?
Moi je sais de qui il s’agit mais je ne vendrai pas la mèche. C’est secondaire. Ce qui compte, comme on dit à Bercy, est que chaque fois désormais que mesdames Borne, Hidalgo, Parly, etc… croiseront le regard gourmand de l’auteur, elles ressentiront un léger malaise, évitant de lui tourner le dos, comme toujours.